Le milieu naturel.
En effet, ce vaste territoire de 91000 Km2, couvert à 80% de forêt primaire, était et est occupé par des populations amérindiennes autochtones, qui ont toujours pratiqué les contacts et les échanges.
Ainsi, ces dernières perpétuent un grand nombre de pratiques spécifiques pour célébrer les dieux et la nature, passer les caps de l’existence, pleurer les morts ou se libérer de leur influence, guérir, communiquer, fêter et s’exalter, convaincre, séduire, aimer…
Ces pratiques, issues du corpus universel de l’humanité, rendent compte avec le maximum de réalisme et de vérité de la puissance et de la finitude, de la soumission et de la révolte, du tragique et de la joie de la condition humaine. Elles ont toutes un caractère commun : l’association étroite de l’esprit et du corps, tant dans ses dimensions cognitives ou émotionnelles que spirituelles.
La vie de ces nombreuses communautés du bassin du Maroni, fleuve frontalier situé à l’Ouest du pays et qui sépare la Guyane du Surinam (ancienne Guyane hollandaise), est jalonnée de ces manifestations spécifiques, où le parler, le jouer, le chanter, le danser s’y déroulent suivant des codes précis.
Le bassin du Maroni rassemble sur son cours de près de 500 Km. environ 40 000 habitants, répartis suivant différents groupes humains dont la concentration la plus importante se situe à Saint-Laurent-du-Maroni, Sous-Préfecture.
Ainsi se côtoient : Les Busi-Nengue ou Noir-Marron, descendants d’esclaves africains qui ont pratiqué le marronnage au XVII et XVIII siècle et qui sont répartis en plusieurs familles ethniques – Boni, Njuka , Paramaka et Saramaka. Les Créoles. Les Asiatiques – Chinois et Hmongs. Les Européens. Les Amérindiens issus de tribus différentes : Les Wayana – Les Emerillon ou Wayampi – Les Arawak ou Palikur et les Galibi ou Kaliña.
Ces derniers groupes humains qui bien avant l’arrivée des Européens se déplaçaient par grands mouvements migratoires se sont répandus sur le plateau des Guyanes et représentent actuellement moins de 10 000 personnes dans la région concernée. Citoyens français, ils peuvent bénéficier de tous les droits que leur propose la République, en fonction de la situation géographique de leurs territoires de subsistance.
Dans leurs villages, ils habitent soit des « carbets », cases constituées de bois et de palmes, soit des bâtisses en dur suivant le modèle européen. Mais la disposition des villages s’inscrit traditionnellement autour d’un « carbet » d’accueil et de cérémonie : le « tukusipan ».
Le fond spirituel amérindien.
Les Wayana conçoivent deux ciels superposés : le plus haut, celui des « Kuyuli » ; le plus bas celui des vautours et des ombres des morts « akwalinpe ».
Outre ces dernières, l’univers abonde de dangereux esprits de toutes sortes, notamment : les « yolok » qui sont les esprits de la forêt, les « ipo » et les « molokot » qui sont les esprits des eaux.
En outre, deux conceptions coexistent quant aux esprits « yolok » :
- soit l’esprit prend la forme d’un végétal, d’un animal ou d’un homme sans entretenir aucun rapport avec cette espèce (métamorphose) ;
- soit l’esprit possède un cheptel d’animaux sauvages qui sont ses animaux domestiques et dont il est le père « yum ».
Le principe spirituel de l’homme se développe à mesure que l’enfant grandit, restant les premières années de son existence dans la dépendance de la spiritualité de ses parents et du père en général ; d’où le principe de la « couvade », principe de socialisation de l’union et de reconnaissance de l’enfant selon lequel le père doit impérativement cesser ses activités habituelles en se soumettant, comme son épouse, à de nombreuse restrictions alimentaires.
Les morts sont réduits à des principes abjects, usés dangereux pour la communauté (akwalinpe).
Le principe spirituel de l’animal vivant n’est pas considéré comme dangereux. Dangereux est « l’akwalinpe » d’un mort ou « le yolok » qui peut lui être attaché.
Les végétaux et les animaux morts sont également porteurs d’un principe spirituel susceptible de rendre malade ou fou…
Pour les Amérindiens en général, l’homme proviendrait des règnes animaux, végétaux ou encore d’éléments du paysage, comme pour les Palikur, de la montagne et de la mer.
Du temps de leurs ancêtres, les animaux avaient forme humaine. Ces ancêtres vivaient donc sans doute avec des femelles guenon, perruches et autre faune, leur union donnant les ancêtres totémiques des différents clans amérindiens.
C’est dans ce contexte que les Amérindiens attribuent une représentation animale à de nombreux accessoires ou décors qui meublent leur habitat. Ainsi on retrouve les sièges de cérémonie représentant soit un jaguar, un caïman ou un condor, avec l’attribution d’un rang de préséance qui situe l’animal dans le panthéon des divinités en fonction de la place qu’il occupe dans la chaîne alimentaire. Également, les tambours de cérémonie, que seul les Chamans ont le privilège de battre, occupent lors des cérémonies rituelles un ordre hiérarchique établi suivant le même critère et suivant l’origine de la peau qui le recouvre. Le tambour tendu de la peau du jaguar, magnifique prédateur respecté de la forêt guyanaise, est toujours placé en premier.
Le « ciel de cases » « maruana », peinture décorative sur bois qui s’accroche tout en haut à l’intérieur du « tukusipan » représente aussi des motifs zoomorphes protecteurs de la mythologie amérindienne. Ici on y trouve généralement la représentation de la tortue « kawana »- la sagesse, du serpent constrictor « tawa »- la patience, également des poissons et des oiseaux.
Ainsi, le chamanisme et les mythes fondamentaux sont toujours opérants dans les groupes amérindiens de la région du Maroni et en particulier chez les Galibi.
Dans ce décorum authentique, les rituels liés aux grandes étapes de la vie (en particulier le deuil) gardent toute leur importance et leur solennité.
Cycle de la vie et pratique spectaculaire chez les Galibi (Kaliña)
Chez les Galibi, la levée de deuil « Epe Godonõ » est un rituel de réintégration qui marque la fin d’une longue période de deuil et qui suit différentes pratiques ritualisées « Omaganõ », destinées à provoquer le départ progressif de l’âme du défunt, du monde des vivants où elle continuait à séjourner.
Les noms mêmes de ces pratiques ont une valeur symbolique, puisque « Omaganõ » signifie « séparer les cheveux par une raie médiane » et « Epe Godonõ » « couper la frange ».
Ces désignations ont des références explicites. Elles renvoient en premier lieu à l’état spécifique de séparation des endeuillés, la coupe des cheveux sanctionnant le passage d’un état à l’autre.
« Epe Godonõ » est pratiqué environ trois ans après le décès du conjoint.
La cérémonie commence aux alentours de vingt-deux heures. La ou les veuves et la famille du conjoint sont parés des peintures de deuil qui s’étalent sur tout le corps et expriment la continuité de la vie au-delà de la disparition de l’enveloppe corporelle.
Isolées dans un angle du « tukisipan » les femmes entonnent des psalmodies égrenées sur des tonalités élevées au rythme des « kalawasi » qui sont des paniers tressés et remplis de graines de laurier jaune. Seules les femmes utilisent cet instrument, car les hommes, les Chamanes des villages environnants ont pris place derrière les tambours.
Les danses traditionnelles.
Le rythme des tambours, immuable et répétitif, libère des sonorités graves et profondes comme des vibrations venues du centre de la terre. Dans cet étrange concert, la famille du défunt se place au centre du carbet en colonne circulaire et exécute une danse lancinante sur les chants commémoratifs des femmes, rythmés par les « kalawasi ». Les filles du défunt, vêtues de noir, restent près du chœur des femmes, enveloppées par leurs mélopées incessantes jusqu’au bout de la nuit.
La libération.
Le feu, chez les Kaliña symbole de la création de la terre, est alors le premier acte de retour à la vie.
Une nouvelle danse se déroule autour du feu. Après une heure environ, un danseur se précipite et piétine les flammes en dispersant les cendres des vêtements en fin de combustion.
Ce geste exprime la victoire de la vie sur l’esprit responsable de la mort et qui occupait les reliques vestimentaires du défunt.
La purification des corps.
Sur place, les veuves absorbent l’eau du fleuve en signe de purification et d’habitation, puis en rejettent une partie au fleuve, car les esprits de l’eau, les esprits de la vie, les « ipo » et les « molokot », doivent retourner dans leur sanctuaire originel.
Ensuite, les membres de la famille sont soumis à une ultime épreuve : résister à ceux qui les entraîne dans l’eau, comme dans un ultime renoncement à la levée du deuil, comme dans un dernier devoir de mémoire, car l’eau, source de vie, après ce bain purificateur, doit les libérer de la tristesse et de la douleur et surtout effacer les peintures de deuil qui recouvraient leur corps.
La renaissance.
Le jour est maintenant bien présent et la cérémonie prend des allures joyeuses, car la vie a chassé et vaincu la mort, ainsi les veuves peuvent enfin décider de se remarier. Alors pour séduire leurs prétendants, elles vont se parer de leurs plus beaux atours après que les veilles femmes du village aient pratiqué le rituel de réintégration « Epe Godonõ », « couper la frange ». Ces cheveux coupés sont récupérés et enfermés dans un reliquaire et inhumés sur la demande de la personne, en même temps qu’elle, lorsque celle-ci viendra à disparaître.
Assises sur le tabouret de cérémonie, les veuves font l’objet d’une grande attention de la part de leur entourage. Les boissons circulant, les peintures faciales à la teinture couleur bleu-noir de genipa sont appliquées avec délicatesse et les ornements cérémoniels sont revêtus suivant un ordre bien établi. Puis, les duvets collés sur la tête parachèvent l’habillage comme dans une grande parade nuptiale semblable à celle des oiseaux. Car ces derniers entretiennent toujours un rapport métaphorique avec les sociétés amérindiennes.
Maintenant, tout est en ordre et c’est le moment que choisissent les prétendants pour courtiser ces femmes libres et les inviter à rejoindre les groupes de danses, qui par vagues successives viennent rendre les honneurs aux tambours. Car ce sont eux qui renferment les bons esprits qui devront les accompagner dans le long cheminement et aléas de leur nouvelle vie…
Référence bibliographique:
- Reportage: Yvan MARCOU
- Approche ethnoscénologique des pratiques spectaculaires ritualisées dans le bassin du Maroni par Karen LEFEVRE-LEMORIN
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