J.P. JACOB- visite M. DUFFOUR ministre de la Culture 03/09/2001-L. BERTRAND
S’il peut, a priori, paraître paradoxal de vouloir accorder une reconnaissance de niveau international à un lieu de souffrance qui n’est ni à l’honneur de la France, ni à celui de l’humanité, une analyse plus fine du projet, de sa motivation et de son environnement montre qu’il en va tout autrement, en raison même du caractère exemplaire et pédagogique du site de Saint Laurent du Maroni.
Tout d’abord, il s’agit, à l’évidence, d’un lieu de mémoire, avec tout ce que cela comporte de subjectivité, d’émotion et d’arbitraire. Il s’agit aussi et surtout d’un lieu d’histoire avec, au contraire, la rigueur scientifique qui s’attache à cette science. Un lieu d’histoire puisqu’il témoigne de la tentative de concilier la punition, la « rédemption » par le travail et, pour la puissance coloniale, le développement agricole et économique d’une zone peu attractive, qui rebutait beaucoup les colons classiques. Nous sommes alors à la charnière du second empire et de la troisième république qui a consacré, nous le savons, l’expansion coloniale triomphante. Saint Laurent du Maroni, lieu d’une histoire encore palpable puisque les bâtiments restaurés et réutilisés à des fins culturelles pour certains, conservés en l’état pour d’autres, montrent bien ce qu’était la réalité quotidienne du bagne et des bagnards. Un lieu de documentation aussi puisque les prémices d’un musée des bagnes de Guyane ont été mises en place par la collecte d’objets et par l’achat, par le musée National des Arts et Traditions Populaires, d’une importante collection sur le bagne, destinée à être déposée à Saint Laurent du Maroni.
Cette omniprésence physique, mais aussi dans la conscience collective, du bagne ne doit pas faire oublier l’existence d’une ville typique de l’urbanisme hygiéniste de la seconde moitié du XIXème siècle, d’autant plus typique que créée ex nihilo, sans contraintes préexistantes, sur des terrains vierges, si l’on met à part quelques vestiges archéologiques amérindiens (Kalina) qui semblent bien antérieurs à l’implantation pénitentiaire. Urbanisme orthogonal, recherche de la ventilation naturelle maximale, tant pour les rues que pour les bâtiments, recherche d’une harmonie... Sur ces principes se développe la ville pénitentiaire avec son noyau administratif et ses extensions « civiles », commerciales et interlopes, comme le quartier dit « chinois » lieu de toutes les affaires et de toutes les « combines », y compris la préparation des évasions en direction de la Guyane Hollandaise, l’actuel Surinam, toute proche, sur l’autre rive du Maroni. C’est donc aussi toute une illustration de l’architecture et de l’urbanisme de l’époque qui est magnifiquement conservée et en cours de restauration selon les normes « Monuments Historiques » et dans le respect de la charte de Venise. L’immense quadrilatère de l’Hôpital, civil et pénitentiaire, auquel est accolé l’hôpital psychiatrique est, à lui seul, un morceau d’anthologie architectural et de parfaite adaptation à un milieu pourtant contraignant.
J’ai initié durant mon séjour en Guyane, de 1996 à 2001, plusieurs recherches sur ces thèmes de l’urbanisme et de l’architecture à Saint Laurent du Maroni, pour certains publiées, auxquelles l’on peut utilement se référer pour appréhender la qualité architecturale et urbanistique des lieux.
Perdu au cœur de la forêt amazonienne, accessible à l’époque que par cabotage et remontée du fleuve sur plusieurs dizaines de kilomètres, Saint Laurent du Maroni était pour beaucoup un lieu de désespérance. Pourtant, et c’est là un sujet intéressant, cette implantation était au début un projet plein d’humanisme, très inspiré de la méthode anglo-saxone qui avait, au moins vu de France, si bien réussit en Australie. C’est là un des grands enseignements de cette aventure des bagnes guyanais que de voir comment partant d’un projet tout à fait et très volontairement humaniste, l’on est très vite arrivé à un univers totalement kafkaïen. Un système qui a été décrit et dénoncé sans concession dans les années vingt par Albert Londres (déjà la puissance de la presse) et à la disparition duquel l’ancien président du Sénat, d’origine Guyanaise, Gaston Monnerville s’est attaché. Il est important que cette dérive bien mise en évidence, puisse servir d’enseignement concret à tous et montrer que la formule populaire selon laquelle « l’enfer est pavé de bonnes intentions » n’est pas purement rhétorique. En résumé, un lieu, comme je l’ai dit, de « rédemption » par le travail qui très vite, par la sclérose des institutions, par la bêtise humaine, est devenu un enfer pour tous, y compris pour une majorité des gardiens qui vivaient mal cet exil, loin de la métropole.
Exil, le mot est dit. Comment mieux qu’en Guyane réfléchir sur l’exil et la souffrance qui en découle : exil des amérindiens, repoussés vers l’ouest et le sud par la colonisation des terres à partir du XVIIème siècle, exil terrible des esclaves, qu’ils aient ou non maronné, exil des bagnards, exil actuel de tous ceux qui, attirés par le mirage de ce petit morceau d’Europe sur le continent sud américain tentent, par tous les moyens de s’y installer.
Force enfin est de constater aujourd’hui que la population de Saint Laurent du Maroni, après une période de rejet du bagne qui a pu aller jusqu’à la volonté d’en éradiquer les vestiges, se l’est approprié, en revendique la mémoire et assume avec courage ce passé pourtant lourd et douloureux.
Si j’ai tenu à insister, au-delà de la réelle beauté des lieux, de l’intérêt architectural, urbanistique et historique indéniable de Saint Laurent du Maroni, sur l’aspect négatif de l’expérience du bagne guyanais, c’est que je crois profondément que c’est cet aspect et les leçons que l’on peut et que l’on doit en tirer qui sont d’une importance majeure. La conservation de ces lieux et des témoignages de ce qui s’y est passé doivent contribuer à éviter, dans des périodes de confusion, les tentations et les mirages du révisionnisme. A Saint Laurent du Maroni s’est écrit modestement, mais de façon bien réelle, une page d’histoire de l’humanité, une de ces pages dans lesquelles l’on mesure toutes les dérives possibles d’un projet ambitieux au départ et la nécessité pour les politiques d’intervenir et de redonner un sens à l’action de l’Etat. In fine, l’histoire de Saint Laurent du Maroni est un hymne à l’intelligence humaine et une formidable leçon d’espérance. C’est aussi un lieu qui nourrit la réflexion sur des fléaux hélas encore d’actualité.
Par cette valeur universaliste, la Ville de Saint Laurent du Maroni mérite largement, me semble-t-il, une reconnaissance de la part de l’Unesco.
Jean-Paul JACOB le 24 mai 2006.
Tout d’abord, il s’agit, à l’évidence, d’un lieu de mémoire, avec tout ce que cela comporte de subjectivité, d’émotion et d’arbitraire. Il s’agit aussi et surtout d’un lieu d’histoire avec, au contraire, la rigueur scientifique qui s’attache à cette science. Un lieu d’histoire puisqu’il témoigne de la tentative de concilier la punition, la « rédemption » par le travail et, pour la puissance coloniale, le développement agricole et économique d’une zone peu attractive, qui rebutait beaucoup les colons classiques. Nous sommes alors à la charnière du second empire et de la troisième république qui a consacré, nous le savons, l’expansion coloniale triomphante. Saint Laurent du Maroni, lieu d’une histoire encore palpable puisque les bâtiments restaurés et réutilisés à des fins culturelles pour certains, conservés en l’état pour d’autres, montrent bien ce qu’était la réalité quotidienne du bagne et des bagnards. Un lieu de documentation aussi puisque les prémices d’un musée des bagnes de Guyane ont été mises en place par la collecte d’objets et par l’achat, par le musée National des Arts et Traditions Populaires, d’une importante collection sur le bagne, destinée à être déposée à Saint Laurent du Maroni.
Cette omniprésence physique, mais aussi dans la conscience collective, du bagne ne doit pas faire oublier l’existence d’une ville typique de l’urbanisme hygiéniste de la seconde moitié du XIXème siècle, d’autant plus typique que créée ex nihilo, sans contraintes préexistantes, sur des terrains vierges, si l’on met à part quelques vestiges archéologiques amérindiens (Kalina) qui semblent bien antérieurs à l’implantation pénitentiaire. Urbanisme orthogonal, recherche de la ventilation naturelle maximale, tant pour les rues que pour les bâtiments, recherche d’une harmonie... Sur ces principes se développe la ville pénitentiaire avec son noyau administratif et ses extensions « civiles », commerciales et interlopes, comme le quartier dit « chinois » lieu de toutes les affaires et de toutes les « combines », y compris la préparation des évasions en direction de la Guyane Hollandaise, l’actuel Surinam, toute proche, sur l’autre rive du Maroni. C’est donc aussi toute une illustration de l’architecture et de l’urbanisme de l’époque qui est magnifiquement conservée et en cours de restauration selon les normes « Monuments Historiques » et dans le respect de la charte de Venise. L’immense quadrilatère de l’Hôpital, civil et pénitentiaire, auquel est accolé l’hôpital psychiatrique est, à lui seul, un morceau d’anthologie architectural et de parfaite adaptation à un milieu pourtant contraignant.
J’ai initié durant mon séjour en Guyane, de 1996 à 2001, plusieurs recherches sur ces thèmes de l’urbanisme et de l’architecture à Saint Laurent du Maroni, pour certains publiées, auxquelles l’on peut utilement se référer pour appréhender la qualité architecturale et urbanistique des lieux.
Perdu au cœur de la forêt amazonienne, accessible à l’époque que par cabotage et remontée du fleuve sur plusieurs dizaines de kilomètres, Saint Laurent du Maroni était pour beaucoup un lieu de désespérance. Pourtant, et c’est là un sujet intéressant, cette implantation était au début un projet plein d’humanisme, très inspiré de la méthode anglo-saxone qui avait, au moins vu de France, si bien réussit en Australie. C’est là un des grands enseignements de cette aventure des bagnes guyanais que de voir comment partant d’un projet tout à fait et très volontairement humaniste, l’on est très vite arrivé à un univers totalement kafkaïen. Un système qui a été décrit et dénoncé sans concession dans les années vingt par Albert Londres (déjà la puissance de la presse) et à la disparition duquel l’ancien président du Sénat, d’origine Guyanaise, Gaston Monnerville s’est attaché. Il est important que cette dérive bien mise en évidence, puisse servir d’enseignement concret à tous et montrer que la formule populaire selon laquelle « l’enfer est pavé de bonnes intentions » n’est pas purement rhétorique. En résumé, un lieu, comme je l’ai dit, de « rédemption » par le travail qui très vite, par la sclérose des institutions, par la bêtise humaine, est devenu un enfer pour tous, y compris pour une majorité des gardiens qui vivaient mal cet exil, loin de la métropole.
Exil, le mot est dit. Comment mieux qu’en Guyane réfléchir sur l’exil et la souffrance qui en découle : exil des amérindiens, repoussés vers l’ouest et le sud par la colonisation des terres à partir du XVIIème siècle, exil terrible des esclaves, qu’ils aient ou non maronné, exil des bagnards, exil actuel de tous ceux qui, attirés par le mirage de ce petit morceau d’Europe sur le continent sud américain tentent, par tous les moyens de s’y installer.
Force enfin est de constater aujourd’hui que la population de Saint Laurent du Maroni, après une période de rejet du bagne qui a pu aller jusqu’à la volonté d’en éradiquer les vestiges, se l’est approprié, en revendique la mémoire et assume avec courage ce passé pourtant lourd et douloureux.
Si j’ai tenu à insister, au-delà de la réelle beauté des lieux, de l’intérêt architectural, urbanistique et historique indéniable de Saint Laurent du Maroni, sur l’aspect négatif de l’expérience du bagne guyanais, c’est que je crois profondément que c’est cet aspect et les leçons que l’on peut et que l’on doit en tirer qui sont d’une importance majeure. La conservation de ces lieux et des témoignages de ce qui s’y est passé doivent contribuer à éviter, dans des périodes de confusion, les tentations et les mirages du révisionnisme. A Saint Laurent du Maroni s’est écrit modestement, mais de façon bien réelle, une page d’histoire de l’humanité, une de ces pages dans lesquelles l’on mesure toutes les dérives possibles d’un projet ambitieux au départ et la nécessité pour les politiques d’intervenir et de redonner un sens à l’action de l’Etat. In fine, l’histoire de Saint Laurent du Maroni est un hymne à l’intelligence humaine et une formidable leçon d’espérance. C’est aussi un lieu qui nourrit la réflexion sur des fléaux hélas encore d’actualité.
Par cette valeur universaliste, la Ville de Saint Laurent du Maroni mérite largement, me semble-t-il, une reconnaissance de la part de l’Unesco.
Jean-Paul JACOB le 24 mai 2006.
BIOGRAPHIE:
Carrière :
- Président de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), par décret du Président de la République paru au Journal officiel du 4 juillet 2008.
- Depuis septembre 2001 - Directeur régional des affaires culturelles des Pays de la Loire
- De 1996 à 2001 - Directeur régional des affaires culturelles de Guyane
- De 1987 à 1996 - Conservateur régional de l’archéologie de la Région P.A.C.A.
- 1993 – Conservateur général du patrimoine
- De 1982 à 1987 – Directeur des antiquités de Franche-Comté
- De 1981 à 1990 – Chercheur en archéologie gallo-romaine au CNRS
- De 1973 à 1980 – Assistant à l’Université et collaborateur du Centre de recherche archéologique, préhistorique et ethnologique à Alger
Etudes :
- École pratique des hautes études à Paris
- Faculté de droit à l’Université de Dijon – Doctorat d’Etat en droit
- Lycée Fourier à Auxerre
Œuvres et travaux :
- Nombreuses fouilles archéologiques en France et au Sahara algérien
- Auteur et éditeur de publications scientifiques
Décorations :
- Chevalier des arts et des lettres
- Chevalier de l’ordre national du mérite
- Président de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), par décret du Président de la République paru au Journal officiel du 4 juillet 2008.
- Depuis septembre 2001 - Directeur régional des affaires culturelles des Pays de la Loire
- De 1996 à 2001 - Directeur régional des affaires culturelles de Guyane
- De 1987 à 1996 - Conservateur régional de l’archéologie de la Région P.A.C.A.
- 1993 – Conservateur général du patrimoine
- De 1982 à 1987 – Directeur des antiquités de Franche-Comté
- De 1981 à 1990 – Chercheur en archéologie gallo-romaine au CNRS
- De 1973 à 1980 – Assistant à l’Université et collaborateur du Centre de recherche archéologique, préhistorique et ethnologique à Alger
Etudes :
- École pratique des hautes études à Paris
- Faculté de droit à l’Université de Dijon – Doctorat d’Etat en droit
- Lycée Fourier à Auxerre
Œuvres et travaux :
- Nombreuses fouilles archéologiques en France et au Sahara algérien
- Auteur et éditeur de publications scientifiques
Décorations :
- Chevalier des arts et des lettres
- Chevalier de l’ordre national du mérite